Polly
Voilà l'image qui accompagne le texte, trouvée là, chez Lakévio.
Nous étions prévenus, depuis longtemps, informés, sur-informés diront certains.
Et nous nous sommes préparés : construction d'un abri souterrain de bonne dimension avec accumulation de provisions, conserves, eau potable, légumes secs, sacs de riz que nous avons du protéger des rongeurs et autres charançons, et puis de la lecture, des activités éducatives pour les enfants - pas question que le déluge les prive d'une bonne éducation, après tout si nous savions qu'il allait arriver, personne n'était capable de dire comment il arriverait ni combien de temps les choses allaient durer - vêtements en quantité, pharmacie surdimensionnée...
Pré-pa-rés.
Quand le ciel s'est obscurci, nous avons revêtu dans le calme les tenues adéquates, et, malgré la peur qui nous envahissait peu à peu, nous avons fait bonne figure devant les enfants, renonçant à nous couvrir la tête - mais imposant aux enfants de le faire - tournant les regards de tous côtés, vers on ne sait où, épiant l'arrivée de la catastrophe imminente.
Et puis
C'est arrivé.
Polly, qui cachait jusqu'alors son visage contre moi - elle dort, petit ange, laisse-la dormir, avait dit ma femme - Polly a tourné lentement la tête, a ouvert la bouche grande
grande
grande
a poussé un cri strident, suraigu, long long...
Et toute l'eau du ciel et toute l'eau des mers, des océans, des fleuves et des rivières s'est déversée sur nous, sur le pays, sur la terre entière
engloutissant maisons, abris, taudis comme palais
nous sommes restés ensemble
nageant, surnageant, flottant comme nous pouvions au mileu des débris de ce monde finissant
et nous avons regardé Polly s'envoler
s'envoler vers le ciel sombre et dégoulinant
laissant derrière elle une traînée de feu et ce qui nous a semblé être un ricanement démoniaque
Polly, Polly, ai-je soufflé, petit trésor à son papa...
Nous l'avons suivi des yeux, abasourdis, estomaqués, et nos larmes, dérisoire contribution, se sont mêlées à l'eau qui peu à peu envahissait le monde.
Je t'avais bien dit que cette gamine n'était pas comme les autres, a dit sèchement ma femme, avant d'être avalée par une vague saumâtre.
Sèchement.
Elle est bien bonne.