cocorico
Dans le hameau auvergnat il y a des maisons vides, pleines, en travaux
Depuis des années vivait là une famille de chats faméliques et sauvages, toujours à la recherche de nourriture
Depuis quelques mois il y a aussi des poules
Et deux coqs
Le premier, petit, blanc, chaussettes de plumes et crête rouge, s’appelle Isidore
Le second, plus grand, blanc et sans chaussettes, quelques plumes d’or sur le jabot, s’appelle Timoléon
Ou bien c'est le contraire
Tous les matins chante Timoléon
Faux et fort
A moins que ça soit Isidore
Ça gratte, ça fouille, ça mange, ça glousse
Quand leur propriétaire la plante là quelques jours
La troupe se rapproche des maisons habitées, cherchant des miettes et de la compagnie,
Boulotant les fleurs, creusant des trous, discutant à voix basse sous les ronces.
Le moindre geste humain est vu comme celui du lanceur de grain
Les poulettes rappliquent aussitôt, l’œil vif et la patte tout terrain.
A chaque fois que Timoléon, ou Isidore, ramasse une miette de pain, il va la poser au pied d’une poule, offrande délicate qu'elle gobe aussitôt.
Quelquefois une d’elles s’immobilise, patte en l’air, comme si une pensée soudaine l’avait arrêtée en chemin.
Une bulle de vide a sans doute percé dans sa cervelle de poule.
Puis elle repose la patte, reprend grattage et picorage, jusqu’à ce qu’un bruit de moteur connu la fasse partir, courant et caquetant avec ses sœurs, vers son maitre de passage
Un matin Père Castor, armé de sa grande faux, taille ronces et orties devant la petite maison. Il appelle Mère Castor et montre : sous la fenêtre de la cuisine il a trouvé un nid, une cachette, une planque d’œufs.
Mère Castor en a compté trente et un. Un remerciement pour les miettes, peut-être.
Plus tard on en trouvera dix-huit dans un autre nid, en face de chez mamie.
En dédommagement des fleurs, sans doute.
Que croyez-vous qu’on en a fait ?
Doutant de leur fraicheur, Mère Castor les a cassés et donnés aux poules :
Elles ont tout mangé
Elles ont de même dévoré les os de poulet du lendemain.
Mère Castor trouvait à leur œil rond un éclat stupide, un peu vide,
Elle y voit désormais une lueur mécanique et froide.
Depuis qu’elles sont là, les chats ont disparu, et les fleurs de mamie,
Et chaque évènement est ponctué par le chant de Timoléon
Ou bien est-ce Isidore ?
Allez savoir.
Jules Renard (quel beau nom pour un amateur de poules) en parle si bien, ce serait dommage de s'en priver :
(...)
- Elle ne boit que de l'eau.
Elle boit par petits coups et dresse le col, en équilibre sur le bord du plat.
Ensuite elle cherche sa nourriture éparse.
Les fines herbes sont à elle, et les insectes et les graines perdues.
Elle pique, elle pique, infatigable.
De temps en temps, elle s'arrête.
Droite sous son bonnet phrygien, l'œil vif, le jabot avantageux, elle écoute de l'une et de l'autre oreille.
Et sûre qu'il n'y a rien de neuf, elle se remet en quête.
Elle lève haut ses pattes raides, comme ceux qui ont la goutte. Elle écarte les doigts et les pose avec précaution, sans bruit.
On dirait qu'elle marche pieds nus.
Jules Renard, Histoires naturelles ; La poule.